lundi 27 mai 2013


Le bleu du temps qui passe


Surtout, ne m'en voulez pas, en ces temps gris souris, mais chez moi, la vie est pleine de bleu. Oh non, détrompez-vous, il ne s'agit pas uniquement de ce bleu clair, limpide et vif qui nous habille les après-midis d'été. Je parlerais plutôt de ces bleus tout en nuances, peints de gris, de lumière, de tâches et d'ombres. 

Ce sont les terres de contrastes que j'aime dans la couleur océan, celles qui semblent vouloir s'imprimer sous ma peau. La profondeur mélangée à la légèreté, la clarté dissimulée dans l'intensité. 

Ce mot, l'intensité, me semble tatoué à l'intérieur du cœur ; une trace qui viendrait souligner l'importance des instants à vivre et à goûter dans le mouvement folie de ces derniers mois. Ce mot, il décide le rythme de mes battements du cœur, le son de mes pas et la fatigue de mon corps engourdi. Il marque le temps qui passe au crayon gras. Mais parfois, mon cœur s'oppose. Il s'affirme, proteste et se débat. Il refuse l'impulsion du dehors ; il n'a pas de temps, mon cœur. Il se fout du temps qui passe, il danse de son rythme propre, aux sons de l'amour qui coule dans mes veines. Au contact de mon cœur bleu d'intensité, "j'ai l'âge éternel des premières fois". 

Il y a d'autres bleus. Ceux qui tracent de la rondeur irrégulière sur mes genoux de petite fille, à s'écorcher sur le trottoir de sa vie. A force de me tenir à la lisière de la forêt de mon corps, je tombe, me déchire et saigne. La prudence laisse des traces, le désengagement et l'humilité aussi. Je suis de ce genre de personne qui préfère ne rien dire du monde par peur d'affirmations vides, avides. Ni blesser, ni blasphémer. Je préfère garder les mots enfermés dans les mémoires du corps, protégés par la chaleur humide du connu. Le silence est mon royaume, les paroles m'ennuient ou pire encore m'épuisent. Je suis dans l'air du bruit, le bruit de l'air étant quasiment inexistant. Sauf, peut-être, dans la chambrette de sous les toits, lorsque je tapisse les murs de ma chaleur d'enfant bercée. Nous passons notre vie à fuir le silence. Pourtant, je crois que c'est là qu'il se trouve le vivant ; dans les chuchotements des mots à peine suggérés, l'implicite et les non-dits, tous témoins de la profondeur et de l'incarnation d'être au monde. Le silence du bleu nuit, lui seul me suffit. Je crois préférer les paroles silencieuses et la délicatesse. Avec eux, "j'ai l'âge éternel des première fois".           

C'est comme une enfant que j'ai suivi la ligne bleue dessinée sur le lino des couloirs blancs de l’hôpital. Ligne bleue, ascenseur bleu, étage bleu. Mes pas n'avaient pas d'âge, j'étais l'enfant qui allait voir son père. Peu importe le reste, je m'en fous. La petite fille cachée dans la grande avait choisi de réapparaître, soulignant la fragilité qui dort. Je marchais avec le goût du sang dans la bouche, signe d'avoir trop mordu mes joues pour ne pas laisser couler les larmes. Les gestes de survie pour montrer comme on est grande ; ravaler la peur et la laisser sortir, plus tard, à l’abri des mondes. A la grande de consoler la petite. Ne crains rien," tu as cet âge éternel des premières fois", celui qui balance le cœur mais rassure le temps qui passe. 

Ces derniers jours, il y a aussi le bleu sombre de l'encre qui se déverse sur les pages à apprendre par coeur pour la date inscrite en rouge dans l'agenda. Je me demande toujours ce qu'il reste, vraiment, à l'intérieur, de ces théories affalées sur les feuilles quadrillées de gris clair. Probablement qu'il restera la couleur des mots, la forme des concepts, le contour des contenus. Alors je choisis d'écrire en bleu, car c'est lui que je veux garder dans les lignes de ma pensée, un bleu mère, celui qui pourra, en temps venu, rassurer, consoler et bercer mes peurs de gamine. Dans ces instants de douceur, "j'ai l'âge éternel des premières fois". 

Lorsque, par la fenêtre, le carré bleu du ciel se dessine, je sens de la délicatesse s’installer juste là, au coin des yeux. Émue, j'apprivoise le chant de l'oiseau, m'habille de feuillage du marronnier et descends dans la cour. Il est vendredi, l'heure de l'amour amoureux. En contrebas, c'est une chemise à rayures bleues qui se tient adossée à la barrière de l'escalier. Chemise bleue, pull bleu. A son bonjour, "j'avais l'âge éternel des premières fois".

7 commentaires:

  1. oh Mélie... incroyable billet, incroyable plume, bleue ou pas...
    tu es capable de la décrocher, cette lune dans la nuit bleutée, ne t'en fais pas, crois en toi.
    Je t'envoie de la lumière ♥

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  2. Garde cet âge magique, ce bleu qui vibre, ta plume. C'est si beau Mélie, poètesse moderne.

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  3. Nos bleus se reflètent dans les tiens. C'est beau, Mélie, et c'est bien, tu prends le temps d'écrire.

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  4. Merci pour ton comm' chez moi !
    Et oui je viens en Suisse de temps en temps car ma famille vit de l'autre côté du lac Léman !

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  5. Bonjour Mélie... Je n'ai pas de mail pour répondre à tes petits mots, tes visites, mais je te remercie beaucoup......

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  6. Tu as la couleur contagieuse, et les mots qui rayonnent !

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