dimanche 10 mars 2013



Cette irrégularité, ici, parfois, m'effraie.
Vient-elle simplement rappeler l'irrégularité de la vraie vie, celle de l'autre côté de l'image, faite de surprises, d'enchaînements avides ; à vide, de pause sans repos, d'heures à courir et de temps à parcourir ? Mes pas sont nomades, vies écartelées et sacs remplis. Quatre maisons traversées en une semaine, chaque semaine. Sept petits jours dans trois villes, au mieux. Je traverse des gares par millier, mes racines peuvent s'implanter timidement, seulement. 

 Genève, mercredi-jeudi-vendredi. Mon véritable refuge. Mon appartement, mon nid. La ville que l'on aime et que l'on déteste à la fois. Celle que j'apprivoise depuis trois ans et qui m'a vu changer, je crois. Oui, tu sais, je repartirais si différente qu'à mon arrivée. J'ai appris avec elle la solitude, le voyage errant, les nuits sans lui, le faire "toute seule", la diversité des mille vies dans une ville, le gris ; gris du ciel qui plonge dans le gris des gens, le bleu aussi. Du bord du lac, surtout. J'ai compris que ce n'est pas la ville qui fait la vie mais la vie qui fait la ville, la force des liens, des liens tissés de nos vies métissées. Les regards croisés et les amitiés nouées. J'ai aimé ce café qui nous a vu étudiantes débutantes puis presque diplômées. Presque diplômée, il me faut le dire et le redire, puis l'écrire, tellement je peine à y croire. Je retiendrais l'adresse de ce restaurant indien, la libraire du Chien bleu, les Enfants Terribles, le parc observé depuis le balcon. Le soleil du mois de mai, toujours sur ce balcon, son sirop de sureau bu sur la petite table blanche et les tabourets aux couleurs acidulées, délavées par la force des rayons. Les poussettes du quartier et le bac à sable vidé. L'épicier de Marseille, et soudain, le soleil au coin de la rue. Puis, plus d'épicier. Un nouveau balcon, un second appartement, un déménagement. Des escaliers en vieilles pierres, des filets à pigeons, des voisins à compter sur les doigts d'une main. Le jardin accolé à la fontaine de l'ONU - le quartiers des Nations. Genève, l'Internationale. Pleurer le vieux quartier, marcher pour apprivoiser. Apprivoiser et apprécier, finalementJ'ai aimé grandir ici, devenir l'adulte que je suis, en devenir. La ville féminine, la femme en vie. 

Fribourg, dimanche soir-lundi-mardi. Une ville pour un stage. Deux appartements où déposer mes affaires vagabondes. Je partage mes nuits et les lits avec les filles, complicité inhérente. Cette ville dont je connais uniquement la gare et son boulevard. Brouillard. Et le trajet du bus numéro trois, appris par coeur. J'aime les gens que j'y rencontre. Personnes ressources, dans cette vie de l'entre-deux. Entre-deux gares.

Sierre, vendredi-samedi-dimanche. La dérisoire. Celle qu'il faut quitter en empruntant les chemins de montagne pour parvenir à la grande maison. Les chemins de l'enfance. La ville triste et humble à la fois. Ma ville, celle dont la créativité et l'inventivité font oublier le primitif. Pulsions de vie et de mort. C'est aussi la vie du week-end, les jours de l'amour retrouvé. Les baisers, les montagnes, les montagnes, les baisers. Alors forcément, le ton y est doux. Doux, comme un  mois de mars. 

Cette irrégularité, peut-être, vient refléter au dehors celle que je suis dedans. L'irrégularité du temps que je fais jouer, à mon rythme. Rythme de mon être, entre-deux rives, l'étudiante pour quelques mois encore et la presque diplômée, l'enfant et l'adulte-femme. Irrégularité de ma pulsion de vie, décousue et timide, n'osant à peine murmurer ses envies de grandes filles.